Ce blog a pour but de présenter mes recherches sur la première guerre mondiale (guerre 14 18), ainsi que ma position concernant la réhabilitation des fusillés pour l'exemple et mon dernier livre sur le seul officier supérieur fusillé "Sauver mes hommes". Contact : viot-eric@orange.fr
22 mai 1916 : Un douloureux cas de justice militaire : l'affaire des fusillés de Roucy (dossier
constitué par René Richard et Éric Viot) Extrait du bulletin de l'association Bretagne 14 18 N°54
Entre les deux guerres, plusieurs procédures, toujours très longues, furent engagées pour que fussent réhabilités des fusillés pour l'exemple. En Bretagne, l'affaire la plus emblématique fut
celle de François Laurent de Mellionnec (22), soldat de 2ème classe au 247ème R.I. de Saint-Malo, soupçonné par un médecin de mutilation volontaire à une main (ce praticien, précautionneux, avait
tiré à l'avance plusieurs feuilles certifiant des mutilations volontaires …), déféré devant un conseil de guerre, incapable de se défendre car ne parlant que breton, condamné à mort, fusillé le
19 octobre 1914 au camp de Châlons/Marne et réhabilité le 9 décembre 1933 par la Cour spéciale de Justice militaire. Le 5 août 1934, plusieurs milliers de personnes se regroupèrent à Mellionnec
pour une cérémonie de réparation, en présence du préfet, d'élus de la République et des représentants de la gendarmerie …
Le caporal Théophile Maupas (« les caporaux de Souain »), les sous-lieutenants Henri Herduin et Pierre Millant, les soldats Léonard Leymarie et Lucien Bersot (« le pantalon ») et bien d'autres furent aussi reconnus, après la guerre, non coupables des chefs d'accusation qui les avaient pourtant conduits devant le peloton d'exécution et reçurent alors la glorieuse mention de « Mort pour la France ». Mais la liste reste longue des condamnés à mort pour qui un procès en révision aboutit à un rejet de l'appel ou dont les dossiers de révision ne furent jamais instruits.
D'autres condamnations, rares, furent cassées pendant la guerre. Gilles Vauclair, membre de Bretagne 14-18, et Didier Callabre, avec leur beau livre Le fusillé innocent, 1914-1917 (Autrement, 2008) ont relaté de façon détaillée le dramatique sort d'Eugène Bouret (Jean, Baptiste, Eugène pour l'autorité militaire) : cet artilleur du 8ème R.A.C. fut condamné à mort pour « abandon de poste devant l'ennemi » après une parodie de procès, fusillé le 7 septembre 1914 à Vanémont dans les Vosges mais il fut réhabilité dès 1917.
Depuis quelques années, ces affaires des « fusillés pour l'exemple » sont exhumées par des associations qui tentent, faits, documents officiels et témoignages à l'appui, de faire réhabiliter moralement certains de ces soldats. Éric Viot, adhérent de la première heure de Bretagne 14-18, s'est passionnément investi dans cette forme de mission. Nous avions évoqué dans le bulletin 46, page 18, son engagement et ses recherches pour que soient réhabilités Émile Lhermenier d'Yvré-l'Evêque, près du Mans, et ses trois camarades du 96ème RI, exécutés le 22 mai 1916 à Roucy pour un mouvement d'humeur qui datait déjà de quelques semaines et qui ne leur avait valu au départ … que 8 jours d'arrêt de rigueur par leur commandant de compagnie avant que, bien tardivement, le commandement de la division ne transforme ce banal incident en manquement inexcusable à la discipline militaire et ordonne que les quatre soldats soient déférés devant un conseil de guerre qui les condamna à mort pour « refus d'obéissance en présence de l'ennemi ».
Plusieurs témoins évoquent cette affaire des fusillés de Roucy et toutes ces sources croisées ont bien aidé Éric Viot à charpenter son dossier à décharge.
Pierre Bellet, adjudant-chef au 96ème R.I., est celui qui fut le plus explicite malgré quelques imprécisions (Journal de guerre, compte d'auteur, pp. 97-98) : « Lors des relèves, nous avons été
successivement au repos à Romain, à Roucy et en réserve à Pontavert et au bois de Beaumarais. Á Pontavert nous étions installés dans les grandes caves d'une maison bourgeoise que nous appelions
le Château. Nous y avons pris des photos qui témoignent de l'état des villages situés à proximité des lignes. De temps en temps nous y recevions des obus, mais surtout à la sortie, vers le pont
de l'Aisne. Le Cdt Genet était très intrigué par un moulin à vent dont les ailes lui semblaient bouger, alors qu'il était en désuétude depuis longtemps. Pensant à une trahison par signes, il
ordonna une surveillance active qui ne donna aucun résultat, et pour cause : les ailes étaient irrémédiablement immobilisées... Pour préparer l'attaque, de grands abris pour protéger la troupe
des bombardements furent creusés à la Sapinière. Les tranchées et les boyaux furent approfondis, et des canons de tranchées mis en position. Tous ces travaux ne pouvaient passer inaperçus de
l'ennemi ; il devait bien présumer qu'une attaque était imminente. Nous devions participer à une première attaque, mais une reconnaissance du terrain fit constater l'impossibilité d'avancer à
cause de l'eau. À notre grande satisfaction, l'opération fut remise à plus tard. Elle eut lieu alors que notre Baton se trouvait en réserve à Roucy. Le village dominant toute la vallée de
l'Aisne, nous étions spectateurs sans aucun risque. Le 3e Baton de notre régiment tenait les tranchées de 1e ligne, mais l'attaque devait être faite par le 246e. La préparation d'artillerie fut
impressionnante. Nos batteries, échelonnées dans le bois de Guignicourt, crachèrent sans arrêt. Nous voyions nos obus éclater sur les premières lignes allemandes, et plus en arrière, nos grosses
marmites qui soulevaient des nuages de fumée et de terre.
L'artillerie ennemie ne répondait pas et paraissait inexistante ; tout au plus quelques obus tombèrent sur Pontavert, mais pas un sur Roucy, contrairement à ce que nous attendions. Mais au moment
où notre attaque se déclenchait et où nos canons allongeaient le tir pour former barrage, l'artillerie boche déclencha à son tour un formidable tir sur nos premières lignes. Nous apprenions
bientôt que le Régt de droite s'était emparé du sud-est du bois et avait fait 200 prisonniers. Mais dans notre secteur on n'avait pu avancer. Les hommes de notre 3e Baton qui occupaient la 1e
ligne ont déclaré que quelques uns d'entre eux seulement avaient tenté de sortir, avec hésitation, mais étaient tout de suite rentrés, l'ennemi étant sur ses gardes. Les journaux relatèrent cette
opération avec force détails, et comme une belle action d'éclat. Je me rappelle en avoir lu le récit, complètement inexact et fait pour bourrer le crâne. Cependant, le Commandement n'était pas du
tout satisfait ; il trouva les résultats a peu près nuls pour une si grande dépense de munitions. Il demanda des explications et exigea de connaître les responsables. Tout retomba sur 4 soldats
du 96e qui furent exécutés après un jugement qui n'est pas en faveur de la justice militaire. Les victimes appartenaient au 1er Baton. Ce bataillon, relevé de première ligne dans la nuit, était
arrivé dans la matinée au repos au camp du Faité, bien en arrière. Comme après chaque relève, on laissait un peu de liberté aux soldats dont beaucoup en profitaient pour se rendre chez le
marchand de vin. Mais lorsque le Cdt Riols reçoit l'ordre de remonter en ligne dans la matinée même, le rassemblement fut difficile. Il y eut même des protestations d'abord, puis des cris ensuite
et des commencements de désobéissance, car certains avaient du vent dans les voiles. L'intervention des officiers put ramener le calme, et tout le monde monta finalement en ligne. Le Cdt Riols
crut devoir signaler les faits au Général de la 56e D.I.(note : en fait 55ème D.I.), sous les ordres duquel nous étions passés depuis notre détachement provisoire dans ce secteur (nous étions
coupés de notre D.I. et de notre colonel resté à Fismes). Lorsque le Commandement réclama des responsables, le Général grossit les incidents du 96e. Il ordonna l'arrestation des plus excités, qui
furent jugés et exécutés sur le champ, sans même que notre Colonel ait eu le temps d'intervenir. L'affaire eut une répercussion douloureuse dans le Régt. De l'avis même de nos officiers, on avait
exagéré, car si une punition exemplaire était nécessaire, la peine de mort était excessive. Le Cdt Riols n'avait désigné que les fortes têtes, des soldats réputés indisciplinés et certainement
peu recommandables, mais la justice doit être toujours la justice. Un peu plus tard, notre Cdt recevait une lettre d'une pauvre mère demandant des nouvelles de son fils dont elle ne recevait rien
depuis quelque temps. Il nous était interdit de donner suite à de telles démarches. C'est ainsi que cette malheureuse devait apprendre la mort de son fils par une affiche collée à la porte de la
mairie de son village, proclamant à tous que son fils avait été passé par les armes parce que déserteur. Lorsque nous avons à nouveau rejoint la 31e D.I., le Général Grossetti commandant le 16e
C.A. reprit l'affaire en main. Il eut gain de cause contre ceux qui n'avaient pas su gagner la victoire et qui avaient ordonné ce jugement inique. Ils furent limogés, c'est à dire destitués de
leur commandement. Notre régiment que l'on avait voulu salir était ainsi réhabilité, mais cela ne changeait malheureusement rien pour ceux qui restaient en terre dans un des jardins de Roucy. »
Le petit-fils d'un soldat du 96ème R.I.. a retrouvé les souvenirs de son grand-père rédigés en 1960. Il y écrit : « Le 11 avril [1916], nous allons reprendre les mêmes positions au Bois des Buttes mais l'atmosphère ne fut pas la même. L'ennemi était beaucoup plus agité. Il y eut plusieurs tués et blessés à la compagnie. La relève est assurée le 16. Nous allons cantonner à Roucy que nous quittons dans la nuit du 17 pour aller à Pontavert. Ce nouveau départ en ligne a provoqué des incidents dans une compagnie de mon régiment dont la suite fut vraiment très pénible. Les soi-disant fautifs furent pris au hasard. » Il n'en dira pas plus mais ses proches savaient que ce terrible souvenir le hantait1.
Paul Tuffrau était commandant d'une compagnie du 246ème R.I., régiment en ligne près du 96ème R.I.. Il eut connaissance de cette lamentable affaire car les quatre pelotons d'exécution avaient été choisis dans son régiment. « Concevreux, 30 mai 1916 …Dans les premiers jours de la semaine, il y a eu un matin quatre soldats du 96 fusillés près de Roucy, par le 5ème bataillon de chez nous. La veille, on avait commandé de service une compagnie, cantonnée à Concevreux pour 3 heures du matin ; on n’avait pas dit pourquoi, mais les hommes se doutaient, et les groupes étaient nombreux qui discutaient. Je n’ai pas entendu la salve, mais j’ai su, par Bourgeois et par Geoffroy, qu’on avait emmené les condamnés une heure trop tôt avant les troupes ; qu’un d’eux, un fort gaillard de dix-neuf ans, engagé pour la guerre, vitalité de taureau, hurlait d’une voie profonde et puissante : « Me tuer, moi ? allons donc ! C’est impossible ! » Bayon dirigeait l’exécution ; il avait fait préparer quatre poteaux, apporter des cordes car il devinait qu’ils se débattraient ; cela a été vite fait, chacun ayant hâte d’en finir ; aussitôt attachés, les quatre pelotons ont fait en ligne face à gauche, visé, et sans même qu’il y ait eu commandement, le premier coup de feu a entraîné les autres. Après quoi Bayon a infligé huit jours d’arrêt à un maréchal des logis qui devait représenter la Division et qui est arrivé avec quatre minutes de retard : « Vous faites mourir ces hommes deux fois, vous !». »
Le capitaine Tuffrau ajoutera dans son carnet (Sapinière, 3 juin 1916, p. 120) que cette exécution avait beaucoup perturbé certains soldats. Ainsi, dans une compagnie du 246ème R.I., un homme devint pratiquement fou à la suite de ce drame et dut être évacué. Il craignait d'être lui-même fusillé, ayant écrit dans une lettre à sa famille : « Au bout de vingt mois de campagne, il fallait que les chefs soient vraiment cruels pour mettre quatre de nos camarades au poteau » et était persuadé que cette lettre avait été ouverte.
Un soldat du 246ème R.I., Émile Mauny, a aussi été témoin de ce drame (Émile et Léa, lettres d'un couple d'instituteurs bourguignons dans la tourmente de la Grande Guerre, compte d'auteur, 2006,
pp. 114-115). Lettre du 23 mai 1916 : « Il s’est passé hier une séance bien peu intéressante. 4 soldats du 96ème ayant été condamnés à mort, les compagnies du 5ème bataillon du 246ème ont été
chargées de fournir les 4 pelotons d’exécution. A ma compagnie, il fallait 5 soldats, 4 caporaux, 5 sergents. Par bonheur, je n’ai pas été désigné pour cette horrible besogne. Les camarades nous
ont raconté la scène. C’était lugubre, poignant. Tous étaient hébétés d’avoir participé à cette exécution. Peut-être ces 4 malheureux avaient-ils mérité leur sort (je ne sais pas), mais on
devrait bien trouver un autre moyen d’exécuter la loi au siècle où nous sommes. L’un d’eux avait paraît-il 18 à 19 ans. Il me semble que moi qui ai l’habitude de vivre avec les enfants et les
jeunes gens, je serais devenu fou si on m’avait obligé à participer à ce drame. Je te raconterai ces choses que je n’ai pourtant pas vues mais qui ont hanté mon esprit toute la journée hier. »
Le docteur Veaux, dans son livre Un an sur le Chemin des Dames (Bretagne 14-18, p. 84) évoque ces quatre tombes isolées dans le cimetière de Roucy : « ... Avant d’arriver à la gare de Roucy, où
il vaut mieux ne pas moisir si l’on n’a pas un goût exagéré pour les shrapnels, il existe un de ces cimetières auprès duquel je me suis arrêté. Deux soldats déséquipés errent lentement autour de
la grille, lisant les noms inscrits sur les croix. Un homme arrange une tombe ; c’est le père Simonet, m’a-t-on dit. Il n’a jamais quitté Roucy et il surveille anxieusement sa maison encore
intacte par bonheur, à part quelques tuiles sautées à coups de shrapnels. - Qu’est-ce que ça, pas vrai ? me dit-il, jusqu’au jour d’aujourd’hui, ces cochons ne m’ont pas encore fait plus de mal
que des vauriens qui m’auraient lancé des cailloux sur mon toit en sortant de l’école ! Avec lui, nous faisons le tour des tombes ; les plus anciennes, datant de 1914, appartiennent au 18ème
Corps de Bordeaux, et au 1er Corps du Nord de la France. Quelques Bretons de mon ancien régiment reposent aussi à leurs côtés. Puis ce sont les tombes nombreuses de ceux qui sont tombés
pendant les longs mois de la guerre de secteur, et l’on est frappé de la proportion importante des territoriaux qui ont été touchés en remplissant leurs missions humbles de ravitaillement.
Pour chacun, le père Simonet me raconte en quelques mots les circonstances de leur mort, car il les connaissait presque tous ; avant de soigner leurs tombes, il les a vus au cantonnement de
Roucy, lorsque les régiments descendaient au repos. Puis ceux qui sont tombés à l’offensive d’avril. - Tenez ! Vous voyez ces petites tombes à part ; ce sont quatre hommes qui ont été fusillés.
L’un d’eux, de la classe 1917, appelait sa mère au moment où on le conduisait au poteau ! Ah ! Malheur ! Il faut voir ça à notre époque ! Et tout ça à cause de ces cochons de Boches ! »
Il était alors de bonne guerre de rendre les Allemands responsables de ce jugement sans appel. Dans les documents officiels, seul le J.M.O. de la prévôté de la 55ème D.I. relate succinctement ces
exécutions : « 22 mai : 4 soldats du 96ème R.I. (régiment momentanément mis à la disposition de la division), condamnés à mort, sont fusillés à la Motte aux Grillots (Roucy) à 4 heures. 3 soldats
du même régiment subissent la dégradation militaire (refus d'obéissance en présence de l'ennemi). » Les J.M.O. de la 55ème D.I. et des 96ème et 246ème R.I. ne font nullement état de cette pénible
affaire (le 22 mai, rien à signaler). Ne pouvant encore légalement compulser les dossiers de justice militaire, on en est réduit à émettre de simples remarques et à poser quelques questions2.
Pourquoi un aussi long délai entre la première sanction, bénigne (8 jours d'arrêt vers le 30 avril) et la fatale condamnation (21 mai avec exécution le 22) ? Pourquoi un tel écart de sévérité
entre les deux punitions ?
2 Il semble cependant que, sur demande de rendez-vous, les dossiers de justice militaire soient désormais consultables au S.H.D. de Vincennes.
Pourquoi, pour le même motif, quatre soldats condamnés à mort et 3 autres seulement dégradés ? Après le mouvement de grogne de fin avril d'une compagnie harassée par les attaques du Bois des
Buttes et du Bois Franco-Allemand du 25 avril et des jours suivants, le 96ème avait connu bien d'autres tourmentes. Elles durèrent de fait jusqu'au 3 mai (les soldats qui rouspétèrent fin avril,
ce que retint le conseil de guerre, étaient quand même remontés en ligne et avaient tenu le front) et le régiment enregistra des pertes assez sévères. Alors, pourquoi avoir attendu 3 semaines
supplémentaires pour ressortir ce vieil incident contestataire et en prendre prétexte pour emmener au poteau d'exécution quatre pauvres bougres, même considérés comme de fortes têtes ? Nous avons
lu qu'il s'agissait d'une « mutinerie ». Bien grand mot pour des protestations de soldats fatigués et peut-être quelque peu éméchés. Alors ?
Dans ce secteur du Bois des Buttes, les attaques françaises piétinaient depuis des semaines et le général de la Porte d'Huste, commandant de la 55ème D.I., s'irritait de cette impuissance à avancer malgré plusieurs tentatives. On peut supposer (sans certitude) qu'il estima qu'un exemple serait bénéfique pour impressionner des troupes qui avaient le tort de ne pas réussir l'impossible. Sinon, comment expliquer que fut ressorti cet ancien remous d'opposition (au repos et non en présence de l'ennemi), qu'il fut transformé en « mutinerie » et qu'il fut sanctionné de la façon la plus impitoyable qui fut. Le 6 juin, au même lieu en Roucy, à la même heure (4 heures du matin), le soldat Boitteaux du 246ème R.I. (originaire de Paris) fut aussi passé par les armes et le soldat Decombeix fut condamné aux travaux forcés à perpétuité et dégradé3. L'exemple du 22 mai n'avait pas suffi.
Les soldats du 96ème, l'adjudant-chef Bellet en témoigne, furent bouleversés par cette quadruple exécution. La sanction apparaissait disproportionnée par rapport à la faute invoquée et tout se passa très vite, à l'initiative du commandement de la 55ème D.I.. Le colonel du 96ème R.I. ne semblait même pas au courant. De plus, depuis le 8 mai, le 96ème R.I. qui avait été rattaché provisoirement à la 55ème D.I. pour ces attaques sur les Bois des Buttes et Franco-Allemand avait rejoint son corps d'armée. Le 96ème, régiment détaché, aurait-il été pris pour bouc émissaire par le général de la Porte d'Huste, ce qui évitait de mettre en cause les unités habituellement constituantes de sa division (même si il livra ensuite à la dure loi de la justice militaire, un soldat du 146ème) ? Si nous impliquons tant ce général c'est parce qu'il apparaît que les ordres de juger (et sans doute de condamner) vinrent bien du commandement de la 55ème D.I.4.
Dernier point, juridique cette fois, soulevé par Éric Viot : à l’époque où ces 4 hommes ont été fusillés (le 22 mai 1916) la loi promulguée le 27 avril 1916 (loi supprimant les cours martiales et instaurant les conseils de révision) n’était pas appliquée en totalité car les cours martiales étaient supprimées mais rien n’avait été mis en place par le gouvernement pour créer les conseils de révision (la nouvelle loi stipulait que le condamné pouvait faire appel devant ce conseil de révision).
Le 6 juin 1916 suite à l’intervention des parlementaires sur ce vide juridique, le général Roques consentit à l’interdiction des fusillades en attendant la parution prochaine de son décret instituant ces fameux conseils de révision. Sa circulaire parut le 8 juin 1916. Les 4 soldats de Roucy ont été fusillés le 22 mai, entre le 27 avril 1916, date de la promulgation de la loi, et le 8 juin 1916, date de la parution du décret créant les cours de révision …
Avec Émile Lhermenier, les trois autres fusillés furent :
- Milhau Félix, Louis dont le nom figure sur le monument aux morts de Bessan (Hérault) ;
- Baleux Lucien qui est inscrit sur le monument aux morts de Burbure (Nord) et sur celui de Loos-en-Gohelle ; cet engagé volontaire de 19 ans (né le 31/01/1897) devait être ce colosse qui se rebella tant au moment d'être attaché au poteau ;
- Regoudt Paul, Pierre de Dunkerque ; ce journalier célibataire, était l'aîné et le probable soutien d'une famille de 6 enfants ; sa mère était veuve d'un marin péri en mer en 1907 ; Paul Regoudt n'ayant pas reçu la mention de mort pour la France, sa famille ne perçut aucune pension.
Les quatre soldats reposent dans la nécropole de Pontavert, au milieu des autres soldats français morts au combat et y sont présentés comme « Morts pour la France » alors qu'ils n'ont jamais reçu
officiellement cette mention.
3 On peut remarquer que Paul Tuffrau, commandant d'une compagnie du 146ème R.I., s'étend assez longuement sur l'exécution des 4 soldats du 96, mais passe sous silence celle d'un homme de son
régiment qui dut pourtant être connue et commentée dans l'unité.
4 Sur le fonctionnement et l'indépendance des conseils de guerre se référer au témoignage d'Henri Bellamy, défenseur au Conseil de Guerre aux Armées, rapporté par Hubert Néant (Bretagne 14-18, 48
(pp. 13-15) et 49 (pp. 8-10).
Le général Henri, Armand de la Porte d'Huste, né le 23 novembre 1855 à Salles (Deux-Sèvres), général de brigade commandant la 55ème D.I., est décédé le 3 octobre 1916, à l'hôpital Excelmans de Bar-le-Duc,de « maladie contractée » en service.
Le 12 juillet 2010, Mr Jean-Luc Fontaine, maire d'Yvré-l'Évêque, a informé Éric Viot qu'après avoir consulté le secrétaire d'État aux Anciens Combattants, son conseil municipal, en sa séance du 8
juillet, avait donné un avis favorable à l'inscription sur le monument aux morts de la commune d'Émile Lhermenier « mort pour la France le 22 mai 1916 ».
Pour plus de précisions se référer au blog d'Éric Viot (écrire « Éric Viot » sur Google)